Son Altesse Royale (S. A. R.) le prince Philip, duc d’Édimbourg, s’est éteint à l’âge de 99 ans le 9 avril 2021, deux mois avant de célébrer son 100e anniversaire de naissance. Ce fut une journée sombre pour moi lorsque j’ai réalisé que le fondateur du sport qui me passionne s’en était allé à tout jamais.

HRH Prince Philip and his Contribution to Carriage Driving

Carole Precious (Puslinch, Ontario), qui est membre du Comité de CE et adepte du sport d’attelage, porte un regard sur la vie de Son Altesse Royale (S. A. R.) le prince Philip, duc d’Édimbourg.
Source : Pics of You

Le concours combiné d’attelage, ou concours complet d’attelage, est ainsi nommé car le meneur obtient son résultat final au terme de trois jours de compétition (épreuves de dressage, marathon et maniabilité). La pratique régulière de ce sport au plus haut niveau exige de la persévérance, de la concentration, du courage, de la discipline, un souci du détail, des habiletés sportives, une confiance en soi et ses chevaux, une recherche de sensations fortes et une capacité de tirer des leçons de ses erreurs et de celles des autres. Sachant cela, j’ai voulu découvrir le prince Philip en tant qu’homme.

Une recherche sur Internet m’a d’abord permis de suivre les différentes étapes de sa vie et de cerner un peu mieux sa personnalité. Le prince Philip avait un intérêt marqué pour la nature, les grands espaces, l’environnement, le génie mécanique, les nouvelles technologies et le design de qualité. Il cultivait aussi ses compétences en résolution de problèmes. Dans sa bibliothèque de 8 385 ouvrages, 373 étaient consacrés aux chevaux. Des 14 titres qu’il avait publiés, trois traitaient du sport d’attelage : Driving and Judging Dressage, 30 Years On and Off the Box Seat et Competition Carriage Driving. Le prince Philip a aussi siégé à la présidence de la Fédération équestre internationale (FEI) de 1964 à 1986.

En 1971, il se rend à Budapest (Hongrie) pour assister aux premiers Championnats européens de combiné d’attelage, mais c’est en 1972, alors qu’il est présent aux tout premiers Championnats mondiaux (Aix-la-Chapelle, Allemagne), que le prince Philip commence à s’intéresser de près au concours combiné d’attelage.

À l’âge de 50 ans, il cesse de jouer au polo en raison d’une blessure au poignet et cherche à pratiquer un autre sport. Puisque les écuries royales abritent des chevaux, des harnais et des voitures, il décide d’opter pour l’attelage.  

HRH Prince Philip and his Contribution to Carriage Driving

Fortement engagé dans le milieu équestre, le prince Philip, qui conduit ici un équipage, a adopté le combiné d’attelage dans les années soixante-dix.
Source : Gracieuseté de David Saunders

Mes recherches m’ont aidée à tracer un bref profil que je souhaitais compléter en m’entretenant avec des gens qui le connaissaient. J’ai alors téléphoné à Jack Pemberton, un athlète canadien accompli qui fut en 2007 le premier récipiendaire du Prix d’excellence de CE pour l’ensemble des réalisations et qui pouvait, tout comme le prince Philip, conduire un attelage à quatre, prendre en charge une importante équipe et faire accomplir des tâches précises à celle-ci. Jack était souvent invité en Angleterre au Royal Windsor Horse Show (Concours hippique Royal Windsor) en qualité de juge d’épreuves d’attelage. Il correspondait fréquemment avec le prince Philip et c’est ainsi qu’il a reformulé avec lui l’ensemble des règles du combiné d’attelage. Il a expliqué qu’ils étaient parfois en désaccord, mais que le duc était un homme très aimable. En revanche, il ne pouvait tolérer les crétins. 

HRH Prince Philip and his Contribution to Carriage Driving

Carole s’est entretenue avec Jack Pemberton (photo) au sujet du prince Philip avec qui il a mis à jour les règles qui s’appliquent au concours combiné d’attelage.
Source : Cealy Tetley

Durant les premières années, ils se rencontraient souvent chez Bucks, le nom utilisé pour désigner les dîners organisés les dimanches soirs par Sa Majesté la reine Elizabeth II pour les participants et les officiels en combiné d’attelage. Des meneurs de tous les milieux étaient présents et le prince était parfaitement à l’aise de prendre une bière avec l’un ou l’autre et converser normalement.

Pour Jack Pemberton, c’est le prince Philip qui a donné tout son lustre au combiné d’attelage et lui a permis d’atteindre une position d’envergure parmi les autres disciplines de la FEI. Il était un meneur très efficace doté d’une solide formation qu’il avait acquise après bien des efforts pour s’améliorer. Lors d’une entrevue en français, le prince avait parlé de l’importance d’être à l’écoute de son cheval, tout comme le fait le psychanalyste avec son patient. Il tenait à garder sa concentration et le mot d’ordre en compétition était le suivant : lorsque le prince Philip analysait le tracé pour trouver la meilleure façon de passer un obstacle, il fallait le laisser tranquille. On pouvait approuver poliment d’un signe de tête, mais il était interdit de le déranger.

Mon deuxième interlocuteur était David Saunders, qui concoure et entraine des meneurs d’attelage à quatre, ainsi que leurs chevaux, aux États-Unis principalement. Il fait partie de ceux qui peuvent naviguer à travers les obstacles aussi rapidement avec deux chevaux qu’avec un seul. David a occupé le poste de Royal Coachman (cocher des écuries royales) durant 20 ans. En tant que titulaire du poste qui lui avait été confié en 1973, il était aux côtés de son « patron », le prince Philip, pour présenter les véhicules et les chevaux de compétition. 

HRH Prince Philip and his Contribution to Carriage Driving

David Saunders (devant, à gauche) a été présent aux côtés du prince Philip (devant, à droite) durant 20 ans, à titre de Royal Coachman (cocher des Écuries royales).
Source : Gracieuseté de David Saunders

Avec un meneur de Sandringham (Grande-Bretagne) expert dans l’art de l’attelage à quatre chevaux, et le major Tommy Thompson, ils ont d’abord conduit un Balmoral dog-cart. C’était un véhicule destiné au cross-country dont le siège du passager et celui du groom étaient placés l’un en face de l’autre derrière le meneur. Ayant été endommagé et réparé à de nombreuses reprises, le véhicule a vite été remplacé par une voiture de marathon de modèle chariot fabriquée « maison ». Le navigateur et le groom se tenaient debout à l’arrière et regardaient vers l’avant. David était chargé d’indiquer au soudeur de la région les endroits où il devait couper, modifier et réparer, en suivant les marques tracées au crayon de cire. Le concept du bendy pole, une barre en porte-à-faux suspendue à l’aide d’une tige de fixation qui permet aux chevaux de mieux prendre les virages serrés, a été élaboré par le prince Philip. Ce concept est encore utilisé de nos jours. Les roues en bois qui se brisaient continuellement étant une véritable calamité, on a innové en produisant des roues en acier. Le prince Philip, qui était un adepte des sports nautiques, a alors commencé à utiliser des manilles à dégagement rapide pour les traits.

C’est en 1973 que la compétition débute pour le prince Philip. En 1980, il est nommé membre de l’Équipe britannique d’attelage en vue des Championnats mondiaux qui se tiennent à Windsor (Grande-Bretagne). En 1981, il fait partie de l’équipe britannique victorieuse aux Championnats européens qui se déroulent en Suisse. David sera amené à le connaître étroitement durant cette période puisqu’ils passent de nombreuses heures à s’entrainer et à peaufiner leurs techniques. D’ailleurs, la reine Elizabeth, qui assiste parfois à leur entrainement, se réjouit de voir la position et l’utilisation de chacun de ses chevaux dans l’épreuve à quatre chevaux. Puisque David entretenait une relation amicale avec le prince, je lui ai demandé de le décrire en quelques mots et il m’a immédiatement répondu : « C’était un immense personnage ! »

La troisième personne avec qui je me suis entretenue était David Freedman de Freedman Harness & Saddlery Co., un Canadien qui a rencontré le prince Philip à sept reprises, dont lors d’une visite du couple royal au Royal Agricultural Winter Fair (Toronto, Ontario). La reine Elizabeth et le prince Philip ont visité le kiosque Freedman et se sont assis pour bavarder. Le prince et David discutaient souvent du collier utilisé en attelage et de l’importance de l’ajuster parfaitement sur le cheval. Selon David, il était un homme à l’esprit vif et aux vastes compétences techniques qui s’était facilement intégré dans notre collectivité d’attelage car il était un excellent homme de cheval. En 2012, David, qui représente la sixième génération de fabricants de harnais, s’est rendu à Londres pour recevoir un prix prestigieux de la British Driving Society pour sa contribution à la fabrication de voitures et de harnais d’attelage. L’un des membres du comité d’attribution de ce prix était le prince Philip. David Freedman se dit particulièrement fier du fait qu’il y a des harnais Freedman parfaitement conservés aux Écuries royales.

La quatrième personne que j’ai contactée est Richard Nicoll, un concepteur de parcours et délégué technique de niveau 4 FEI. Cet officiel hautement compétent en attelage qui vit aux États-Unis a souvent été invité à configurer les parcours du Royal Windsor Horse Show. Franchir les parcours de Richard est un véritable plaisir car ses concepts tiennent compte du bien-être du cheval tout en mettant à l’épreuve l’aptitude du meneur à garder le cheval dans la main, souple, obéissant, franc et en impulsion.

Richard décrit le prince Philip comme un homme avant-gardiste, toujours prêt à améliorer les choses. Il n’était pas du genre à faire du surplace et s’intéressait plutôt aux méthodes modernes. Il avait travaillé en collaboration avec des fabricants de véhicules britanniques comme Michael Mart d’Artistic Iron Products, lequel avait testé certaines pièces de motocyclettes et de karts de course lors de la fabrication des premières voitures destinées au combiné d’attelage.

En 1993, lors des Championnats mondiaux d’attelage en paire qui étaient présentés à Gladstone (New Jersey), Richard a fait la reconnaissance du parcours de marathon en compagnie du prince Philip qui était un invité de marque à cette occasion. Au volant d’une Range Rover, Richard a entrepris de franchir à pleine vitesse les 27 kilomètres du parcours de cinq sections tout en angles et en tournants, au grand effarement des gardes de sécurité qui tentaient maladroitement de les suivre. Dès que Richard a ralenti, son illustre passager qui ne semblait nullement inquiet de la situation lui a crié « Plus vite ! Plus vite ! »

L’épouse de Richard, Martha Hanks-Nicoll, a ajouté qu’alors qu’elle siégeait à un concours en tant que juge, le système de chronométrage a cessé de fonctionner à l’un des obstacles. Le prince Philip a décidé de prendre la relève durant plusieurs heures pour chronométrer chaque meneur, après quoi il s’est dit heureux d’être traité au même titre que l’un des bénévoles.

A une autre occasion, alors que le prince Philip procédait à la remise des médailles aux Championnats mondiaux des poneys d’attelage, son humour et sa capacité d’improviser ont beaucoup plu aux participants lorsque les médailles se sont malencontreusement enchevêtrées et qu’il a dû attendre qu’elles soient remises en ordre pour les distribuer. Étant habitué à paraître en public, il a manifesté élégance et gentillesse tout au long de la pause. Plusieurs années plus tard, Richard a eu l’occasion de conduire la reine Elizabeth et le prince Philip dans une voiture sur le site de Colonial Williamsburg (Virginie). Au moment de prendre place, le prince s’est penché vers lui et a murmuré : « Eh bien, j’espère que vous serez capable de contrôler ces chevaux, n’est-ce pas ? »  

HRH Prince Philip and his Contribution to Carriage Driving

Le prince Philip et la reine Elizabeth II, dans une voiture conduite par Richard Nicoll lors d’une visite à Colonial Williamsburg (Virginie).
Source : Gracieuseté de Media Collections, The Colonial Williamsburg Foundation

Vers la fin des années quatre-vingt, le duc d’Édimbourg délaisse les chevaux pour conduire des équipages de poneys. Il cesse de concourir en 2003, à l’aube de ses 80 ans. Il continue toutefois d’apporter son soutien au Royal Windsor Horse Show, de préfacer le programme annuel et de présenter des suggestions pratiques aux organisateurs. Il continue aussi d’offrir de belles possibilités aux jeunes du Poney Club et entreprend d’enseigner l’art de l’attelage à ses petits-enfants.

A plus de 90 ans, le prince Philip attelle encore ses bien-aimés poneys Fell. « Je vieillis, ma capacité de réaction est moins bonne et je ne puis plus me fier à ma mémoire, mais aller en promenade avec une paire de poneys dans la campagne britannique est un plaisir qui demeure cher à mon cœur. »

Le prince Philip était présent dès les débuts de la discipline, lorsque les amateurs, les professionnels, les militaires et les personnes issues de tous les milieux – des têtes couronnées aux gens ordinaires – se réunissaient simplement pour s’amuser et rivaliser d’adresse avec leurs magnifiques chevaux et leurs belles voitures. En quête d’une charge d’adrénaline, ces gens faisaient de leur mieux pour réussir dans le merveilleux sport d’attelage. De nos jours, l’attelage est la discipline équestre qui connaît la croissance la plus rapide. Elle attire les personnes de tout âge – de quatre à 94 ans.

Après avoir réalisé ces entrevues, je pense connaître davantage ce meneur. J’aurais bien aimé le rencontrer, bavarder gentiment avec lui et l’écouter parler de ses chevaux favoris et des moments privilégiés qu’il a vécus en compétition.