L’histoire commence en 2014 lorsque le Dr Ludwig Christmann, responsable de l’élevage à l’étranger à la Hanoverian Society, suggère à Louise Masek de faire saillir sa jument, Iroise de Grandry, par l’étalon hanovrien Bon Balou, qui se trouvait au Canada. Elle ne pouvait prévoir que ce simple échange serait le début d’une grande aventure de sept ans qui changerait la face de l’élevage de chevaux warmblood au Canada.

Forte de ses années d’expérience comme cavalière et athlète en Europe et en Amérique du Nord, Louise Masek, propriétaire et directrice de Look Ahead Sporthorses, a une approche singulière en matière d’élevage et d’entraînement. « Le matériel génétique qui entre dans la production d’un sujet est une combinaison de traits provenant de plusieurs générations à la fois du côté du père et de la mère, explique Mme Masek. La science ne ment pas. » Ce pairage, semble-t-il marqué par le destin, ne l’a pas fait mentir, mais elle a dû composer avec son lot de défis, à commencer par la naissance du poulain.

Puisqu’il s’agissait du dernier poulain de sa jument selle-française, certaines complications sont survenues vers la fin de la gestation. Puis, la dernière journée de mars 2015, après une surveillance de 17 jours qui a semblé interminable à la ferme de Mme Masek en Ontario, la jument donna naissance à un étalon alezan éclaboussé de chrome qu’ils nommèrent Beau Balou. Pour souligner son ascendance à demi française et sa naissance peu de temps après l’attentat du Charlie Hebdo à Paris, Beau Balou obtint le surnom d’écurie « Charlie » ou « Je suis Charlie ».

Charlie, tout comme son père, était un ravissant poulain qui a remporté la palme à l’inspection hanovrienne en arrivant en tête des poulains élevés pour le dressage. Il a ensuite très bien réussi ses présentations en main à un an et à deux ans, n’obtenant jamais un classement inférieur à la deuxième position. Mme Masek avoue toutefois qu’elle n’avait pas encore réalisé le trésor qu’elle tenait entre ses mains avec ce poulain aux étonnantes marques blanches.

En 2018, il a commencé l’année dans un programme d’entraînement léger fondé sur l’échelle de gradation du dressage, soit le rythme, la relaxation, la souplesse et le contact. L’objectif de l’année était de participer aux épreuves de coupe du Royal et de la CWHBA (Canadian Warmblood Horse Breeders Association) nécessaires pour le présenter à un test de performance en vue d’obtenir sa licence de reproducteur. « Je suis si reconnaissante envers la CWHBA de m’avoir convaincue de me lancer dans cette aventure, dit Mme Masek, car je n’avais jamais envisagé de devenir propriétaire d’un étalon ni d’offrir des saillies moi-même. C’est une expérience très enrichissante. »

À trois ans, Beau Balou franchissait des croisillons et des lignes simples sous la selle. Il a ainsi obtenu sa licence d’étalon reproducteur de la CWHBA et remporté l’épreuve à l’obstacle du test de performance de 2018. Après avoir réussi le test de performance, il s’est qualifié pour les deux épreuves de coupe et est terminé deuxième à la Coupe du lieutenant-gouverneur (en selle) et cinquième à la Coupe du gouverneur général. Grâce aux résultats obtenus lors de ce test, il a reçu son approbation de la CSHA (Canadian Sport Horse Association).

Mme Masek nous rappelle l’importante différence entre la licence et l’approbation des étalons reproducteurs. Pour la licence, ils sont évalués sur le triangle, en main et à l’obstacle en liberté. 

All Canadian Hanoverian Stallion has Achieved Lifetime Approvals

Lors du test de performance complet, les étalons sont évalués sous la selle sur trois ou quatre jours, où ils sont notamment présentés par des cavaliers invités, ce qui compte pour une part importante des résultats. La licence n’étant que la première étape à franchir, le nombre de juments qu’il est possible de saillir est généralement limité.

Pour obtenir les approbations, il s’agit d’un long voyage coûteux qui nécessite le soutien de toute une équipe qu’elle s’estime chanceuse d’avoir : « Comme je ne fais plus de saut d’obstacles, on a commencé sa quatrième année par un programme d’entraînement avec plusieurs cavaliers qui ont contribué à son développement au cours des trois années suivantes. »

Beau Balou a ensuite poursuivi son entraînement à la collecte pour l’insémination artificielle et sa semence a été soumise à des analyses approfondies pour s’assurer de sa qualité pour le transport et la congélation. En 2019, il est retourné à l’entraînement en dressage et en saut d’obstacles. Il a concouru dans des épreuves de chasse Baby Green de la OHJA (Ontario Hunter Jumper Association) dans la division développement. On l’a ensuite soumis à des radiographies complètes, une endoscopie, des tests d’ADN et des analyses sanguines pour répondre aux exigences vétérinaires des sociétés de généalogie et démontrer qu’il ne présentait aucune anomalie risquant d’être transmise à sa descendance.

Plus tard dans la saison, Charlie a participé à l’épreuve nord-américaine pour étalons de sport (North American Stallion Sport Test) au Maryland en tant que première étape pour son approbation par les principaux registres européens. Il a terminé au deuxième rang du classement général avec une note de 8,29 ce qui a permis à ses rejetons d’être inscrits aux registres hanovrien, oldenbourg allemand, verband (GOV), westphalien et KWPN.

Puis la pandémie a frappé en 2020 et s’en est suivi l’annulation des concours. « C’était une catastrophe pour sa carrière de perdre une année complète », raconte Mme Masek. Ils ont toutefois continué son entraînement à la maison avec des experts et des cavaliers, selon les besoins. Par chance, les registres ont prolongé les licences de reproduction pour les étalons qui n’avaient pas terminé leurs évaluations.

En 2021, comme la situation commençait à se rétablir, Mme Masek a pu à nouveau l’entraîner et le faire concourir ailleurs. Pendant la saison de collecte très occupée, il a également été entraîné et présenté en concours de saut d’obstacles, puisqu’il n’y a pas de volet de chasse dans le North American Stallion Sport Test LLC (NASST). « C’était sa dernière saison d’admissibilité à l’approbation par le biais du système d’évaluation par tests, précise Mme Masek. S’il ne réussissait pas, il aurait fallu opter pour une qualification par résultats sportifs, ce qui serait plus long et dispendieux. Nous mettions beaucoup d’espoir dans son approbation par test. »

Et, c’est bien ce parcours qui s’est avéré le bon pour Charlie. Même après avoir perdu une année de concours, l’étalon de six ans s’est rendu au Maryland à la mi-octobre 2021, pour participer à trois journées rigoureuses d’épreuves au NASST où il a obtenu une note de 7,85, ce qui lui a valu une approbation à vie par l’ensemble des principaux registres généalogiques.

Par cette remarquable réalisation, Beau Balou est devenu l’un des rares étalons entièrement élevés et entraînés au Canada à recevoir cette approbation. « Il n’y a pas de mots pour exprimer toute ma gratitude envers les personnes qui ont rendu possible cet exploit, déclare Mme Masek. Chaque personne sur notre chemin a cru au potentiel de Charlie et a vu en lui l’étoile qu’il est. Je suis très fière, mais aussi très heureuse que nous ayons pu réussir tout cela ici même au Canada. »

Par cette première, Louise Masek et Beau Balou pavent la voie de l’élevage des chevaux warmblood au Canada. D’ailleurs, deux autres étalons canadiens suivent déjà les traces de Beau Balou et sont à mi-parcours de leurs évaluations en vue d’une approbation en 2022.